Effet Dunning-Kruger : Susciter une prise de conscience chez les personnes atteintes de sur-confiance

Conduite du Changement

Réflexion

12 Avril 2023

Photo prise par Sarah Cervantes

Avez-vous déjà rencontré des personnes qui prétendent tout savoir sur un sujet, mais dont la connaissance est en réalité très partielle ? Cette attitude de sur-confiance peut être agaçante, déstabilisante, voire problématique, notamment lorsque ces personnes occupent des postes à responsabilités. Cette distorsion entre la réalité et leur perception s'appelle l'effet Dunning-Kruger. Les personnes qui en sont atteintes peuvent avoir du mal à remettre en question leur propre compétence, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur leur bien-être personnel, leur efficacité professionnelle et leur entourage. Communiquer avec elles est particulièrement difficile, car elles nient leurs lacunes et peuvent retourner la faute contre vous. Il est donc important de sensibiliser les personnes atteintes de sur-confiance, dans le but de les aider à progresser. Dans cet article, nous allons décrypter ce biais et explorer les différentes stratégies pour susciter une prise de conscience chez les personnes sujettes à la sur-confiance.

L’effet Dunning-Kruger décrypté : la confiance aveugle des moins compétents

L’origine de l’effet Dunning-Kruger

L'effet Dunning-Kruger tire son origine de l'histoire d'un voleur peu scrupuleux qui croyait se rendre invisible aux yeux des caméras de sécurité en s'enduisant le corps de jus de citron. Cette sur-confiance étonnante a incité deux psychologues américains, aux noms de David Dunning et Justin Kruger, à poursuivre leurs recherches sur la perception des individus vis-à-vis de leurs propres capacités et à comparer la qualification réelle de ces individus avec leur évaluation personnelle.

La sur-confiance des moins qualifiés

En 1999, Dunning et Kruger mènent une série d'expériences, y compris des enquêtes à l'université Cornell, et formulent deux postulats. Lorsqu'ils demandent à des étudiants de se positionner sur leur rang, ils constatent
que :

  • Les plus compétents ont tendance à sous-estimer leur rang.
  • Les moins compétents ont tendance à surestimer leur rang.

Le premier point souligne que lorsqu'une personne est peu compétente dans un domaine, elle peut ne pas être consciente de ses lacunes et finir par surestimer ses compétences. Ce phénomène ne signifie pas que les personnes moins compétentes se considèrent supérieures aux autres, mais plutôt qu'elles se croient plus compétentes qu'elles ne le sont réellement. C'est leur perception d'elles-mêmes qui est faussée. Toutefois, il convient de noter que l'effet Dunning-Kruger n'est pas généralisable à tous les contextes : selon notre environnement et notre parcours, nous pouvons être conscients de notre véritable niveau de compétences et être capables d'admettre nos lacunes.

La sous-estimation des plus qualifiés

Le deuxième point, découvert par Dunning et Kruger est que les personnes sur-qualifiées dans un domaine peuvent avoir tendance à sous-estimer leurs capacités et à être trop critiques envers elles-mêmes. Parfois perfectionnistes, ces individus ont le sentiment qu'ils auraient pu faire mieux et que leur travail n'est pas à la hauteur de leurs attentes élevées. Ils sont très humbles, parfois même trop. Comme le disait Socrate, "Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien", ce qui est un exemple parfait d'humilité, le contraire de l'effet Dunning-Kruger.

Chez Seven, il nous arrive d’observer ce paradoxe lorsque nous accompagnons des intervenants plus jeunes que nos participants. En raison de leur différence d'âge, ces intervenants peuvent remettre en question leur légitimité à animer. Nous leur rappelons alors leur expertise et leur compétence : "Tu es la bonne personne pour animer, nous en sommes convaincus. Tu maîtrises le sujet. Il n'y a pas d'âge pour apprendre ni pour transmettre.".

La courbe de l’effet Dunning-Kruger

Les travaux de Dunning et Kruger ont conduit à la création de la courbe de Dunning-Kruger, qui se compose de deux axes : la compétence d'une personne dans une tâche donnée et sa capacité à évaluer correctement sa compétence dans cette tâche, c'est-à-dire sa confiance en elle.

La courbe met en évidence trois étapes par lesquelles une personne débutant dans l'apprentissage d'une tâche peut passer :

  • La montagne de l'incompétence
  • La vallée de l'humilité
  • Le plateau de la consolidation

Dans les premiers moments de l’apprentissage, celui-qui découvre peut être excessivement confiant, ne connaissant pas encore les difficultés de la tâche et surestimant ses compétences inexistantes tout en sous-estimant l'avis des experts. Il grimpe alors vers la “montagne de l'incompétence” ou vers la “montagne de la stupidité”

Lorsqu'il se confronte aux défis de la tâche et commence à apprendre, sa confiance excessive diminue jusqu'à devenir très faible. Il descend alors dans la “vallée de l'humilité”.

Au fur et à mesure qu'il développe ses compétences et acquiert une compréhension précise de la tâche, il regagne en confiance sans jamais retomber dans l'excès initial et atteint le plateau de la consolidation

Cette représentation graphique souligne en fait l'importance de la formation, de l'apprentissage continu et de l'humilité intellectuelle.

Quels sont les dangers de la sur-confiance ?

Une distorsion de la réalité

Les individus atteint de ce biais de sur-confiance, ont en fait une profonde ignorance de leurs lacunes. Ne sachant pas qu'elles ne maîtrisent pas certains domaines, elles ne remettent pas en question leurs compétences. Leur aveuglement est si fort et leur perception de la réalité si erronée, qu'il est difficile d'avoir une conversation constructive avec elles. Même en leur présentant des axes d'amélioration pour leur faire prendre conscience de leurs limites, elles nient et affirment toujours être compétentes dans ce domaine."L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance” soutenait Charles Darwin, le naturaliste britannique. Dans des cas extrêmes, cette ignorance peut même provoquer un sentiment de toute-puissance, aussi appelé syndrome d’hubris : une sensation d’être au-dessus des autres, une envie de faire plus, de chercher davantage de pouvoir.

Une utilisation du statut d’autorité à mauvais escient

L’ignorance de ses propres lacunes est particulièrement dangereuse, en particulier quand elle touche des individus dotés d’un statut d’autorité (ex : un manager, des parents, un professeur, des professionnels ayant effectué 8 années d’études). Avez-vous déjà été confronté à une idée présentée par une personne, qui vous semblait étrange, inadaptée, voire absurde ? Vous êtes-vous retrouvé perplexe, mais avez choisi de ne rien dire, pensant que c'était vous qui aviez mal compris ? Imaginez alors si votre médecin généraliste vous prescrit un médicament inapproprié à votre traitement, ou pire, si son diplôme est faux et qu'il n'a pas les connaissances requises. L'erreur de ce professionnel de la santé pourrait avoir de graves conséquences pour vous.

Comment communiquer efficacement avec des personnes affectées par l'effet Dunning-Kruger ?

Cherchez la raison de leur déni

Les personnes qui nient leur non maîtrise d’un sujet sont dans une phase de déni, la première étape représentée sur la courbe du changement, concept que nous devons à la psychiatre Elizabeth Kubler-Ross. Celle-ci soutient l’idée que lors d’un bouleversement important dans une vie, on passerait par 4 étapes avant d’accepter le changement : le déni - la colère - la résignation - l’acceptation. Les individus victimes de l’effet Dunning-Kruger, seraient en fait bloqués dans cette phase une. L’inconnu, le confort des méthodes actuelles, les efforts qu’il faudrait mobiliser, le refus d’admettre ses torts, la peur de confier ses faiblesses, peuvent en être des facteurs. Donc, lorsque vous échangez avec une personne qui refuse d’admettre son incompétence et refuse aussi de procéder autrement, interrogez-vous sur la ou les raisons de son comportement réfractaire, cela vous donnera potentiellement des pistes d’approche (cf parties ci-dessous).

Faites-vous confiance et campez sur votre position

Au côté de personnes n’admettant pas leurs incompétences, vous pouvez vous comporter de façon inverse. Vous vous mettez à douter de votre propre savoir, à sous-évaluer votre connaissance et finalement vous vous trouvez inefficace. Votre intuition vous a dit que l’idée de ce collaborateur était particulièrement étrange. Vous aviez une autre vision pour la réalisation de cette mission, vous aviez pensé à un plan d’actions très différent, mais pouvant tout à fait correspondre. Ayez confiance en vous et partagez votre proposition, au risque de regretter de ne pas l’avoir dit. Attention tout de même à la manière dont vous l’expliquez, car sans les bonnes méthodes, vous risquez de ne pas être écouté, de ne pas être pris au sérieux, de perdre en crédibilité ou de tomber dans un état émotionnel.

Citez une qualité que vous admirez vraiment chez eux

Comme nous le disions, ces personnes ne se savent pas incompétentes (ou du moins ne l’admettent pas, car elles sont encore dans le déni). Ainsi, si vous échangez avec elles en leur présentant leurs lacunes sans faits tangibles, sans l’aide d’une personne avec un statut d’autorité, sans vous entourer d’alliés, vos propos perdent en valeur à leurs yeux et ces personnes pourraient se braquer, ne pas vous écouter et couper court au dialogue.

Et si vous alliez dans leur sens pour qu’une discussion s’opère entre vous et elles ? Il ne s’agit absolument pas d’être hypocrite envers elles, mais de leur dire sincèrement ce que vous admirez le plus en elles. Toute personne a ses qualités et ses défauts, il suffit de bien regarder. Une personne incompétente dans un domaine a forcément des talents, des qualités innées, des compétences qu’elle a développées, des missions qu’elle réalise bien. Toute qualité fondamentale a son piège, son challenge, son allergie, c’est ce que présent le quadrant d’Ofman.

Prenons une personne qui pense réellement détenir des talents de chanteurs, se vante de la voix exceptionnelle qu’elle possède / croit posséder. Les notes qu’elle émet ne sont peut-être pas justes, mais il y a une qualité que vous lui reconnaissez : sa persévérance. Voilà donc un point de départ vous permettant d’entamer le dialogue.

Partagez-leur des preuves irréfutables

Vous pourriez vous appuyer sur des faits concrets, des éléments démontrant noir sur blanc la démarche vers laquelle s’orienter en soulignant indirectement l’incompétence de votre interlocuteur. Si ce que vous lui partagez est dépourvu de logique et est seulement le fruit de vos émotions, il est compréhensible que votre interlocuteur ne vous croit pas et nie les reproches que vous lui faites.

En revanche, citer des lois, lister des événements historiques ou passés, observer les résultats d’une étude, mettre en exergue des extraits d’œuvres littéraires, s’appuyer sur des messages écrits envoyés, se baser sur des expériences scientifiques, sur des travaux de chercheurs, … auront pour effet d’apporter plus de crédit à vos propos. Vos arguments, parce qu’ils seront prouvés, seront en principe plus difficiles à contredire pour la personne incompétente qui ne le sait pas.

Faites intervenir une tierce personne ayant un statut d’autorité

Convier une personne extérieure à la discussion a également des effets bénéfiques, d’autant plus si cette personne détient un statut d’autorité (expertise dans un domaine, influence sur les réseaux sociaux, prix reçus, etc.) du même niveau que votre interlocuteur (voir même au-dessus). En effet, aux yeux de votre interlocuteur, la parole de cette tierce personne aura plus de valeur que la vôtre.

Imaginons que vous fassiez une remarque à une amie sur sa prestation de chant, mais qu'elle ne vous prenne pas au sérieux, car vous n'êtes pas considéré comme une source d'autorité dans ce domaine. Elle continuera alors de croire qu'elle chante divinement bien. Toutefois, si elle rencontre un chanteur professionnel qu'elle admire et qui a vendu des milliers de disques, et que celui-ci lui indique qu'elle n'a pas encore atteint le niveau pour devenir chanteuse professionnelle et qu'elle a une marge de progression, il est probable qu'elle prenne en compte ses propos et commence à remettre en question ses compétences en chant. Cette prise de conscience peut être un point de départ pour une amélioration de ses compétences et de son développement personnel.

Reportez la discussion

Ces personnes peuvent vous reprocher des erreurs passées pour lesquelles vous avez appris et évolué. Dans cette situation, il peut être facile de perdre votre sang-froid. À vous donc de prendre du recul et de ne pas réagir impulsivement. Si besoin est, vous pouvez prendre une pause pour vous calmer et vous recentrer. Pourquoi ne pas prendre l’air, marcher, respirer profondément, boire de l’eau, extérioriser les choses par écrit ? Une fois plus calmes, vous pouvez engager une discussion constructive avec votre interlocuteur. Avec le temps, il est possible que cette personne se rende compte de ses propres lacunes ou de ses connaissances incomplètes sur le sujet. Avec le temps, il est possible que vous ne soyez plus en mesure de répondre de manière plus rationnelle et factuelle, plutôt que de vous sentir affecté par ces critiques passées.

Trouvez des alliés et rassemblez-vous

Seul, il peut être intimidant de contredire une personne aveugle qui se montre incompétente dans un domaine particulier. Dans de tels cas, il peut être utile de sonder l'opinion de votre entourage pour vous constituer des alliés. Est-ce que d'autres personnes ont également remarqué que l'individu en question ne possède pas les compétences qu'il prétend avoir ? Si tel est le cas, rapprochez-vous d'elles pour définir ensemble les meilleures actions à entreprendre pour susciter une prise de conscience chez l'intéressé. Vous pouvez travailler en groupe pour recueillir des preuves tangibles et planifier la meilleure façon de partager cette information. En plus d'offrir une certaine forme de soutien émotionnel et de sécurité, constituer un collectif apporte plus de crédibilité à votre discours. Si vous êtes nombreux à souligner le manque de rigueur de l'individu, cela aura plus d'impact que si vous êtes le seul à le faire. La loi de la pression sociale est à l'œuvre : lorsqu’un grand nombre de personnes fait quelque chose, nous avons tendance à penser que c’est la meilleure chose à faire. Cette observation est étayée par le psychologue social Robert Cialdini dans son livreInfluence et Manipulation.

Confrontez-les à la réalité du terrain

Déclic. Conscience. Action. Voici l’approche pour aider ces personnes atteintes de l’effet Dunning-Kruger, à prendre conscience de leur niveau de compétence réel dans un domaine et à passer à l'action. Mais comment y parvenir ? La confrontation au terrain. En effet, en se confrontant directement aux réalités du terrain, ils sortiront de leur zone de confort, se rendront compte par eux-mêmes de leur niveau de compétence et des méthodes qui fonctionnent le mieux. Cette méthode peut être particulièrement bénéfique s'ils rejoignent une équipe de personnes compétentes, qui leur montreront la voie à suivre pour progresser. Et s’ils se lancent seuls dans un projet, les effets seront tout aussi positifs. Ils constateront que leurs réussites passées étaient en grande partie dues aux autres et ouvriront les yeux.

En somme, l'effet Dunning-Kruger peut avoir des conséquences graves, notamment lorsque les individus qui en sont victimes détiennent un statut d'autorité. Pour éviter les risques qui en découlent, il est important de prendre des mesures pour susciter une prise de conscience chez ces personnes. Il convient d'abord de comprendre la source de leur déni, afin de pouvoir leur présenter des arguments solides et les amener à reconnaître leurs limites. Puis, il est essentiel de cultiver une relation de confiance, en valorisant les qualités de l'interlocuteur. Si nécessaire, il est également possible de s'appuyer sur des alliés ou des experts pour renforcer ses arguments. Enfin, l'expérience pratique est souvent le meilleur moyen de progresser et de développer les compétences nécessaires. En résumé, en faisant preuve de tact et de pédagogie, il est possible d'aider les individus victimes de l'effet Dunning-Kruger à prendre conscience de leurs limites et à progresser vers la compétence.

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