Le pouvoir des émotions

Communication interpersonnelle

Réflexion

23 Février 2023

Crédit photo : Nick Fewings

Un orateur sincère et touchant transmet avec beaucoup plus de force et d’impact son message s’il utilise ses émotions, soutenaient Lazarius et Folkman à travers la théorie de l'évaluation cognitive. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, partager ses sentiments serait un signe de faiblesse et d’absence de contrôle de soi. L’orateur se désavouerait en cédant à son ressenti et ferait preuve d’impulsivité plutôt que de réflexion. Ainsi, que ce soit pour une prise de parole professionnelle ou personnelle, on pourrait penser qu’un discours purement rationnel ait une plus forte propension à faire adhérer son auditoire à son propos. Au travers de cet article, nous allons explorer les leviers des émotions dans un discours et révéler pour quelles raisons, elles sont si essentielles dans les messages, professionnels comme personnels. C’est le secret des grands orateurs, ce sera le vôtre à la fin de cet article.

Le BA-BA de la prise de parole en public

Lever le doute et faciliter la prise de décision

S’il y avait une théorie qui règnerait en maitresse dans le monde de l’éloquence, ce serait la « Théorie des 3V de Mehrabian ». Du nom du sociologue américain, né en Iran en 1939, cette théorie découpe l’impact d’une prise de parole en public en trois parties :

Basée sur une étude de messages émotionnels sur une population féminine, cette théorie illustre l’importance du non verbal dans un discours.

  • Ainsi, 55% de l’impact de votre message passe par la partie visuelle (posture, gestes, regard…).
  • Vient ensuite la partie vocale, qui elle compte pour 38% (silences, intonation, volume…)
  • Enfin, les 7 derniers pourcents se concentrent sur la partie verbale (registre de langue, l’argumentation déployée…)

Un aspect est transverse à ces trois pans : l’émotion. En effet, seule l’émotion peut avoir un impact vocal, visuel et verbal. C’est la question du lexique, de la syntaxe et de la phonétique du discours. Il apparaît ainsi essentiel d’apprendre à l’intégrer à tous vos discours.

Chez Seven, nous animons un atelier de communication autour de cette théorie. Après un retour détaillé sur chaque V, les participants sont invités à préparer un discours sur un sujet qui leur tient à cœur, en mettant en exergue ces trois parties du discours.

Les émotions dans le discours politique

La séquence est connue, commentée, parfois moquée, pourtant elle est révélatrice du rapport que nous avons aujourd’hui aux émotions. Le 10 décembre 2016, le candidat à la présidentielle tout droit sortie de Bercy s’enthousiasme, les bras levés, et prit par la ferveur de la foule crie « Parce que c’est notre projet ». Repris à l’époque dans de nombreux journaux, Le Parisien souligna le lyrisme et la force de conviction du candidat lors de ce meeting parisien. Loin de faire de cette séquence la raison de l’élection du 8ème Président de la Vème République, elle est plutôt la métonymie de la force des émotions dans les discours. C’est tout l’intérêt d’analyser des discours politiques pour penser toutes les formes de prise de parole : le politique est soumis à un jugement et une critique permanente qui font du discours sa seule arme pour défendre ses idées et ses convictions. Les discours politiques sont donc souvent révélateurs d’une époque et précurseurs dans les techniques rhétoriques.

Hier déjà, les émotions étaient centrales pour construire un discours touchant et impactant. Platon parlait de Pathos dans son livre La Rhétorique. Le pathos c’est l’émotion qu’un orateur parvient à transmettre à son public. En Grèce, les 14 discours de Cicéron dans Les Philippiques révèlent qu’il existe un schéma argumentatif sous-jacent au registre des émotions. C’est-à-dire que la structure du discours s’appuie sur le pathos, sur l’évocation d’émotions. Cicéron y développe une pensée argumentative et plausible, appuyée sur le registre des émotions. Ainsi, dès les fondements de la rhétorique, l’émotion jouait un rôle principal.

Pourquoi les émotions poussent à l’action ?

Derrière la figure idéalisée de l’Homme rationnel qui appuie ses décisions sur de seuls éléments factuels, la sociologie contemporaine vient démontrer que les émotions jouent un rôle majeur dans toutes nos prises de décisions. Depuis quelques décennies déjà, et grâce au travail de Lazarus ou de Damasio, il a été mis en avant que nous prenons nos décisions majoritairement par ressentis et impulsions émotives. Certaines personnes maintiennent qu’elles sont – et resteront -- parfaitement rationnelles, mais elles cèdent à un biais bien connu en neurosciences : le biais d’autocomplaisance. Cette faculté à s’attribuer les mérites de nos décisions positives et à se dévoyer lorsque nous en prenons de mauvaises. Le closing d’un prospect est le parfait exemple : lorsqu’un business developer amène un nouveau client, c’est évidemment grâce à son travail acharné et sa finesse de négociation ; à l’inverse, lorsqu’il échoue, c’est de la faute du contexte ou de l’interlocuteur qui n’était quand même pas sympa… Il y a dans notre fonctionnement, et de manière inconsciente, une tendance à s’octroyer les mérites de nos réussites, et à se défausser de nos échecs. Pour faire le lien avec les émotions, une personne s’attribue tous les mérites de ses bonnes décisions au travers du spectre de sa seule raison, en oubliant le pan majeur des émotions dans cette réussite.

Si l’on s’intéresse de plus près à la neuroscience, les émotions sont utiles et nécessaires pour nos prises de décisions. Darwin en avait déjà eu l’intuition dans son livre The Expression of emotions in man and animal decisions (1872). Depuis, la sociologie contemporaine a mis en exergue la place prépondérante des émotions dans nos décisions et nos actions. Alain Damasio le révèle au travers de sa théorie des marqueurs somatiques (1994). Il y souligne que pour prendre toutes nos décisions selon un raisonnement mathématique et analytique, notre cerveau devrait disposer de capacités quasi illimitées tant il devrait retenir un nombre de combinaisons de possibilités élevé. Pour y remédier, notre mémoire est soutenue par des repères émotionnels qui dirigent nos actions. D’ailleurs, ne nous sert-on pas de nos émotions pour juger la justesse de nos décisions? L’expression « je sens que j’ai pris une bonne décision » l’illustre parfaitement.

De plus, l’émotion perçue étant quasiment instantanée, ce recours à l’action émotionnelle nous permet d’agir et de réagir à des milliers de sollicitations et d’interactions par jour. Sans elle, nous ne pourrions vivre dans nos environnements complexes. Ainsi, il apparaît naturel et primordial d’intégrer un registre émotionnel dans tous vos discours.

Un autre psychologue, maltais cette fois, a mis en avant la place des émotions dans notre schéma réflexif dans son ouvrage Six chapeaux pour penser (1985). Dans ce livre, il y développe la théorie des six chapeaux de pensée. Le chapeau rouge est le chapeau émotionnel. Ce chapeau nous fait voir le monde au travers de nos sentiments et ressentis. Ainsi, à certains moments de notre vie, nous percevons notre environnement et nous sommes poussés à l’action grâce à nos émotions. Cette théorie des sciences cognitives s’illustre parfaitement sur les réseaux sociaux avec le placement de produits. Nous voulons aller dans les mêmes endroits, acheter les mêmes habits, les mêmes produits que les influenceurs que nous suivons et que nous aimons. De la même manière, lorsque les médias soulèvent la possibilité d’une pénurie d’un produit, nous avons tendance à nous jeter dessus dans les magasins - et ce même quand la possibilité est infondée.

Chez Seven, nous avons développé une formation appuyée sur la théorie d’Edward de Bono. Au travers de cas pratiques, nous étudions le profil de communicant de chacun des participants. Nous matérialisons ensuite cet atelier avec les lunettes de la communication (de six couleurs, comme les chapeaux de De Bono). Et sans surprise, les lunettes rouges ressortent souvent…

Comment inclure des émotions dans vos discours ?

C’est en créant une cohérence entre vos idées, vos arguments et les émotions que vous transmettez à l’oral que vous travaillez la congruence de votre discours. La congruence implique une cohérence entre l’image renvoyée par un orateur et le discours entendu. Ainsi, en ayant une bonne congruence, vous dégagez une impression de sincérité à votre public. Cette impression est la condition de son adhésion à votre propos. Certes, la sincérité seule ne suffit pas à convaincre, mais sans elle il est impossible d’avoir un impact fort sur votre auditoire. Vous pouvez travailler cet aspect au travers de différentes techniques :


  • L’empathie

L’une des utilités de nos émotions lorsque l’on pense une action qui touche d’autres personnes – c’est-à-dire la majorité de nos décisions -, est d’anticiper l’impact de notre décision. Nous imaginons, ressentons, pour l’autre. Dans vos discours, cette empathie permet de donner un sentiment de considération à votre auditoire. Les formules comme «Je perçois la déception que ma décision provoquera» ; «Je sais combien cette mesure provoque de la peur chez vous…» montreront la considération que vous portez à vos interlocuteurs et vous permettront de créer une adhésion, impossible sans émotion.


  • L’intériorité

La question de l’utilisation des émotions dans un discours est celle de la justesse. En effet, recourir à une fausse empathie et à des émotions artificiellement exprimées aura l’effet inverse de celui recherché : vous serez perçu comme un orateur manipulateur. Une manière d’exprimer avec justesse ses émotions est de parler de soi. Au travers d’une histoire personnelle, vous pouvez faire ressentir des émotions. Le discours de la réalisatrice Agnès Jaoui pour les Assises pour la parité en 2020 le souligne particulièrement. Dans ce discours imparfait, cru, mais marqué par un passé bouleversant, est révélée la force première des émotions. Emouvoir, embarquer et tourmenter l’autre. Ici, la parole n’est que plus touchante quand elle est sincère et qu’elle exprime une intériorité et des souvenirs au travers de sentiments vécus et ressentis.

Exemple historique sur l’importance des émotions

Un des exemples les plus probants de l’importance des émotions dans un discours est celui du débat autour de l’abolition de la peine de mort. Que ce soit en 1908 avec Raphaël Micheli, ou en 1981 avec Robert Badinter, les débats à l’Assemblée autour des deux projets de loi ont été houleux et longs. De nombreux politiques ont pris la parole et ont confronté leurs émotions. En réalité, quand on s’intéresse au fond pur de ce texte de loi, l’opposition est claire et se résume à la question suivante : quelle place rationnelle j’accorde à l’existence d’un individu dans la société ? Dans sa complexité, les débats sur la peine de mort nous confrontent à nos propres souvenirs, à notre propre intériorité et interrogent notre réaction si le prévenu était notre frère, notre père, notre fils. Ils viennent caresser des sentiments qui nous sont propres. Le discours de Robert Badinter à la tribune de l’Assemblée l’illustre parfaitement: «La peine de mort est contraire à ce que l'humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêvé de plus noble. Elle est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution ». Ce passage évoque le sentiment provoqué par l’espoir de ce texte, la honte des années passées à condamner à mort des hommes, et dans le même temps, s’adresse directement à nos valeurs. Robert Badinter a fait preuve d’une utilisation intelligente des émotions dans ses prises de positions en 1981, son discours prononcé lors du vote du texte de loi est resté dans les annales tant il s’est s’adressé à tous et a marqué l’histoire, bien au-delà du seul vote pour l’abolition.

Ainsi, de manière évidente, les émotions permettent de donner de la profondeur et de l’impact à vos discours. Grâce à elles, vous pourrez toucher votre public, le convaincre. C’est la portée universelle des émotions. Plus généralement, y recourir dans vos discours permet de faire écho aux valeurs de votre auditoire. Les émotions sont intimement rattachées à une vision et une conception de la réalité, et touchent de manière intrinsèque les valeurs de votre public. Les valeurs étant un pan majeur de l’identité individuelle, l’utilisation des émotions permet ainsi de dépasser la simple adhésion à votre discours pour atteindre l’adhésion du cœur et des convictions. Ce faisant, votre auditoire s'identifie à votre discours. L’affaire est donc gagnée. Votre propos aura été entendu et vos idées auront été défendues.

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