Gestion de Projet
En 1943, la Charte d’Athènes, formulée lors du Congrès International d’Architecture Moderne (CIAM) et menée par Le Corbusier, prône une séparation claire entre les espaces de vie et les lieux de travail. Cette distinction s'est estompée dans le temps puisqu’aujourd'hui, l'environnement de travail ne se confine plus à un espace physique unique. Il s'étend à une multitude de lieux : bureaux d'entreprise, domicile, espaces de coworking, cafés, restaurants, gares, aéroports, transports en commun, parcs entre autres
Cette évolution est soulignée par le "Baromètre de la liberté de choix Swiss Life 2023", qui révèle que les Français se sentent de plus en plus libres dans leurs choix au fil des années. Dans le domaine professionnel, cet indice a d’ailleurs grimpé de 7 points en 2023 par rapport à 2022, avec 32% des sondés se déclarant libres dans leurs choix professionnels en 2023, contre 25% en 2022. Cette liberté englobe notamment la possibilité de travailler entièrement à distance, sans être lié physiquement aux locaux de son entreprise, une pratique désignée sous le terme de "full remote".
Parmi les motivations derrière ce choix, on peut y inclure la volonté d'éviter les déplacements, de gagner du temps, de mieux équilibrer vie professionnelle et vie privée, de diminuer son empreinte carbone, de postuler à des postes éloignés géographiquement.
Mais le full remote représente-t-il l'unique solution à l’amélioration de ses conditions de travail ? Toutes les entreprises peuvent-elles le proposer ? Travailler en full remote est-il la réponse au bien-être professionnel ou une source de nouveaux défis ? C’est ce que nous allons étudier au travers cet article.
Le full remote : des avantages à tous niveaux ?
Une flexibilité géographique et une économie de temps ?
Être en full remote, c’est choisir son cadre de travail : à son domicile, dans son café préféré, dans un espace de coworking, dans un hôtel, à la montagne, à la plage, à l’étranger… Libre au collaborateur de choisir l’espace qui lui convient dans la mesure où il peut bénéficier d’une excellente connexion internet : condition indispensable pour un travailler en dehors des locaux de son entreprise.
Particulièrement adapté aux secteurs tertiaires et technologiques, le full remote permet d'éviter des trajets longs et parfois fastidieux. Selon la Global Survey of Working Arrangements (G-SWA), les actifs qui le pratiqueraient économiseraient en moyenne 72 minutes par jour, un temps précieux qu’ils peuvent réinvestir dans leur bien-être, leurs loisirs, les moments passés avec leurs proches ou par plus de repos.
Une amélioration de la qualité de vie pour tous ?
Au-delà de la liberté de choisir son lieu de travail et de la possible réduction de son temps de trajet domicile-travail, le full remote peut, pour certaines personnes, améliorer la qualité de leur vie. Celles-ci voient en ce mode, une façon de démarrer sa journée plus tôt ou plus tard, d’allonger la durée de son sommeil, de réaliser des tâches personnelles en semaine, de se libérer plus de temps les week-ends, de s’éloigner des potentielles distractions de l’open space, de quitter les grandes agglomérations pour réduire le stress urbain, bénéficier d’un plus grand cadre de vie et diminuer le coût global de leur vie quotidienne.
Nuançons toutefois ce ressenti qui est propre à la situation personnelle de chacun et à l’appréciation des uns et des autres des locaux de l’entreprise . Pour un collaborateur qui vivrait dans un petit espace et qui n’aurait pas la possibilité ou l’envie de travailler dans un tiers lieux ou autre part que chez lui, le passage au full remote ne l’arrangerait peut-être pas. Pour un autre qui n’aurait pas de réels coins de travail au sein de son domicile, ni d’espaces où il peut s’isoler pour téléphoner ou réaliser une visio, le travail à domicile serait davantage une contrainte qu’une opportunité. Pour un collaborateur qui aurait pris goût aux services proposés dans les locaux de l’entreprise comme une machine à café haut de gamme, un mobilier confortable, un large choix de restaurants à proximité, une cantine délicieuse, un grand espace vert, une vue en hauteur imprenable sur tout Paris, des cours de sport collectifs, des espaces spacieux, des équipements derniers cris, des petits-déjeuners d’équipes, des afterworks… bref celui-ci verrait le passage au full remote comme négatif et aurait la sensation d’être plus perdant que gagnant.
Une réduction de son empreinte carbone ?
Travailler à distance peut, à première vue, sembler être un moyen efficace de réduire son empreinte carbone, principalement en éliminant les trajets quotidiens vers un lieu de travail éloigné. Cependant, la réduction de son empreinte carbone n'est pas systématique au travailleur à distance et dépend fortement du style de vie adopté suite au passage au full remote.
Prenons l'exemple d'un employé qui, en adoptant le full remote, choisirait de s'installer en périphérie urbaine ou en milieu rural. Si cette décision peut être motivée par la recherche de tranquillité ou d'espace, elle peut involontairement entraîner une dépendance accrue à des moyens de transport plus polluants, comme la voiture individuelle. Comme les zones moins urbanisées sont souvent moins bien desservies par les transports en commun, la voiture devient parfois nécessaire pour la majorité des déplacements. Ainsi, bien que le trajet quotidien vers un bureau en ville soit éliminé, le cumul des kilomètres parcourus pour les activités quotidiennes (achats, loisirs, rendez-vous divers) peut surpasser, voire excéder, les distances parcourues antérieurement.
De plus, le full remote peut induire une augmentation de la consommation énergétique au domicile, notamment en termes de chauffage, de climatisation et d'équipements électriques nécessaires pour travailler efficacement à la maison. Ces éléments, souvent négligés, peuvent contribuer significativement à l'empreinte carbone du télétravailleur.
Une aide pour le recrutement ?
Travailler en full remote a l’avantage d’éliminer la contrainte géographique entre son domicile et le siège de son entreprise, ouvrant ainsi les portes à des talents plus diversifiés. La localisation géographique cesse d'être un critère limitant, facilitant l'accès à des opportunités professionnelles plus variées. Cette flexibilité géographique permet à un manager de pouvoir gérer des équipes réparties sur différentes zones géographiques, peut-être même sur différents continents, enrichissant ainsi son expérience de management et favorisant une approche plus globale et inclusive.
Cependant le full remote peut susciter l’effet inverse sur le recrutement : freiner des candidats qui ne rechercheraient que du présentiel ou du moins un format hybride. Ils pourraient ainsi ne pas postuler ou arrêter le processus en cours de route, en apprenant qu’il s’agit d’un travail en full remote. D’autres candidats pourraient aussi refuser de candidater en apprenant que ses potentielles futures équipes sont toutes en full remote : “Je préfère refuser l’offre si c’est pour ne voir presque jamais mes équipes, exécuter mes missions sans créer de liens avec les autres, et me sentir finalement très seul.”
Qu’est-ce qui motive réellement le full remote ?
À une époque où le travail à distance devient de plus en plus courant, une question se pose : est-ce le modèle traditionnel du travail en présentiel qui est remis en question, ou y a-t-il d'autres facteurs qui motivent cette évolution vers le full remote ? Les raisons qui poussent les individus à privilégier le travail à distance sont souvent plus complexes et nuancées qu'il n'y paraît. Derrière le choix apparent pour la flexibilité et le confort que promet le full remote, se cachent parfois des enjeux plus profonds. Est-ce une quête de meilleure qualité de vie, un désir d'autonomie accrue, ou simplement une réaction à des environnements de travail inadaptés ?
La flexibilité des horaires
“Je veux du full remote pour gérer mon emploi du temps plus librement.”
La flexibilité des horaires est l’une des principales raisons pour choisir le full remote. Cette approche permet de jongler entre les responsabilités professionnelles et personnelles. Cependant, le full remote n'est pas une garantie absolue d'un meilleur équilibre vie pro / vie perso. En effet, sans une structure de travail bien définie, le travailleur à distance risque de se retrouver à travailler bien au-delà des heures “normales”, parfois plus qu'en présentiel. Une alternative pourrait finalement être l’obtention d’un contrat de travail définissant précisément son nombre d’heures travaillées, de cette façon il saurait quand son temps est dédié au travail et quand il est dédié à ses tâches personnelles. Il pourrait aussi demander à son employeur un aménagement de ses horaires, lui permettant des horaires flexibles ou des jours de télétravail partiel, lui offrant ainsi une certaine souplesse tout en maintenant une séparation claire entre vie professionnelle et vie personnelle.
La réduction du stress et de la fatigue liés aux déplacements
“Je veux faire du full remote pour éviter les trajets épuisants et stressants.”
Les trajets quotidiens peuvent être une source majeure de stress en raison par exemple des trains annulés, du trafic sur les routes, de l’affluence dans les transports, mais la solution du full remote n'est pas nécessairement la seule, ni la plus adaptée à ces situations. Par exemple, changer de poste pour un travail plus proche de chez soi, ou adapter ses horaires pour éviter les heures de pointe, peuvent contribuer à diminuer le stress des déplacements. De plus, le stress lié au travail peut avoir d'autres origines que les trajets, et il est important de les identifier pour trouver des solutions adéquates, que ce soit en télétravail ou en présentiel.
La personnalisation de l'environnement de travail
“Je préfère le full remote pour aménager mon espace de travail à ma guise.”
Le besoin de personnaliser son espace de travail, de le décorer à sa façon, est légitime, mais le full remote n'est pas l'unique réponse. De nombreuses entreprises repensent leurs locaux pour offrir des espaces de travail plus personnalisables, confortables et calmes. Cela peut inclure des zones de silence, des espaces de détente et des bureaux modulables. Ces aménagements peuvent répondre aux besoins de personnalisation tout en conservant les avantages du travail en équipe et de la collaboration en face à face.
La réduction des coûts liés au travail en présentiel
“Le full remote me permet d'économiser sur les frais de déplacement et de restauration.”
Bien que le full remote puisse aider à réduire certains coûts, il est également possible de diminuer ces dépenses en présentiel. Par exemple, en adoptant des stratégies de budget comme la préparation de repas à la maison ou le covoiturage. De plus, certaines entreprises offrent des avantages comme des titres de transport subventionnés ou des cantines d'entreprise à prix réduit, qui peuvent également aider à réduire les coûts pour les employés.
Quelles conditions pour du full remote ?
Une ADN d’entreprise compatible
La capacité d'une entreprise à adopter le full remote dépend fortement de sa culture, de ses valeurs, de son histoire, de la manière dont ses collaborateurs échangent, du lien entre les membres des équipes. Une entreprise centrée sur la collaboration, les interactions en personne, qui organisent régulièrement des événements d’équipe pourrait trouver difficile de passer à un modèle entièrement à distance.
L'adoption du full remote exige une culture d'entreprise où l'autonomie et la responsabilisation sont valorisées. Si vous observez les entreprises qui réussissent dans cette transition, ce sont souvent celles qui intègrent la flexibilité comme une valeur fondamentale. En revanche, pour les entreprises avec une culture plus traditionnelle, ce changement peut représenter un défi majeur, nécessitant une réévaluation profonde de leurs pratiques et valeurs.
Des systèmes de communication performants
Le succès du full remote repose en grande partie sur la qualité des systèmes de communication de l'entreprise. Les entreprises doivent investir dans des logiciels de gestion de projet, des plateformes de vidéoconférence, et d'autres technologies qui facilitent le travail à distance. Cependant, ces investissements doivent être accompagnés de mesures de sécurité adéquates pour protéger les données sensibles et aussi par des formations qui assurent une maîtrise de ces outils. Sans ces investissements, le passage au full remote peut se révéler plus complexe.
Un métier qui s’adapte au full remote
Tous les métiers ne se prêtent pas au travail en full remote. Les professions qui exigent une présence physique, telles que les soins médicaux, la construction, ou la restauration, ne peuvent pas être exercées à distance. En revanche, les métiers issus des domaines du numérique, de la rédaction, ou du graphisme sont plus adaptés à un travail à distance. Pour les professions intermédiaires, des adaptations créatives sont souvent nécessaires. Par exemple, un professeur peut donner des cours en ligne, mais cela nécessite une approche pédagogique différente de l'enseignement en personne. La faisabilité du full remote dépend donc fortement de la nature du métier et de la capacité à s'adapter aux contraintes du travail à distance.
Une situation personnelle qui le permet
La faisabilité du travail en full remote dépend également en grande partie de la situation personnelle de l'individu. Un espace de travail dédié et calme à la maison est essentiel pour sa productivité. S’il partage des espaces communs avec des colocataires ou a de jeunes enfants chez lui, sa capacité à travailler efficacement à distance peut en être impacté. Par ailleurs, s’il vit seul, dans un petit espace et que cette situation lui pèse, travailler à distance risquerait d’aggraver le sentiment d’isolement qu’il ressent déjà. À cela, il faut à tout travailleur en full remote un accès à une connexion Internet stable et rapide.
Le full remote se présente comme une solution moderne et flexible face aux défis de notre environnement professionnel actuel. Travailler à distance comporte des avantages significatifs, tels que la réduction des temps de trajet domicile-bureaux, la possibilité de gérer des tâches personnelles pendant la semaine, la diminution de l'empreinte carbone liée aux déplacements professionnels, ainsi que l'opportunité de postuler à des emplois sans contraintes géographiques. Pour autant, d'autres stratégies peuvent contribuer à atteindre ces objectifs, comme déménager, renégocier son contrat de travail, changer d'entreprises ou adopter de nouveaux modes de consommation.
Bien qu'il soit important de reconnaître certaines limites du full remote, celles-ci peuvent souvent être atténuées par une planification et une mise en œuvre adéquates. Il est vrai que les télétravailleurs peuvent parfois avoir tendance à travailler plus que leurs collègues en présentiel, mais cela souligne l'importance d'une bonne gestion du temps et de l'équilibre travail - vie personnelle. De même, si l'éloignement des centres urbains peut entraîner une dépendance à des moyens de transport potentiellement plus polluants, cela met en lumière l'importance de repenser notre manière de nous déplacer et de vivre.
Avant de choisir le full remote, réfléchissez à vos motivations et à leur adéquation avec vos besoins personnels et professionnels. Votre entreprise doit être équipée pour soutenir le télétravail, avec des systèmes de communication efficaces et une culture d'entreprise qui valorise l'autonomie, la liberté et l'initiative. Il est également crucial que votre métier se prête au travail à distance et que votre situation personnelle vous permette de travailler de chez vous ou dans un autre lieu sans impacter négativement votre concentration, votre motivation, votre bien-être et votre performance.
En conclusion, le full remote est une option parmi d'autres pour enrichir et diversifier les conditions de travail. Son succès dépend de la manière dont il est intégré dans une stratégie globale de travail, en tenant compte de vos besoins individuels et de ceux de votre entreprise.
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